Niché dans l’angle de la place de Fürstenberg, le musée Eugène Delacroix ne se dévoile qu’à ceux qui le cherchent. En franchissant ses portes, je pensais pénétrer dans une bâtisse monumentale et froide. A ma grande surprise, j’ai été accueillie dans un foyer, celui où emménagea Eugène Delacroix en 1857.
Des pièces communes au jardin, en passant par l’atelier du peintre, le visiteur entre dans une intimité qui participe à la compréhension des œuvres présentées. Par cette complémentarité, une histoire se déroule sous les yeux étonnés des visiteurs. Organisé en collaboration avec la Fondation Lilian Thuram contre le racisme, le récit qui m’a été narré interroge le regard porté par les artistes du XIXème siècle sur un Orient fantasmé.
Art et imagination
Cette exposition constitue un hymne à la puissance de l’œuvre artistique, dont chaque caractéristique est toujours signifiante. Marcel Proust affirmait à cet égard que « le style pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question de vision ». Entre œuvres littéraires, picturales et musicales, la muséographie rend un bel hommage à cette diversité artistique.

La Mort de Sardanapale – Eugène Delacroix
En se faisant l’écho de la voix de l’artiste, la peinture nous renseigne en effet sur la représentation qu’il porte d’un Orient rêvé : dans La Mort de Sardanapale, Delacroix multiplie ainsi les couleurs flamboyantes et les parures éclatantes, aux côtés d’animaux exotiques redoutés pour leur férocité. Cet imaginaire d’un Orient éblouissant et menaçant en côtoie d’autres, plus mesurés : Madeleine Dinès reprend par exemple à son compte l’esprit de ce tableau pour en faire une représentation plus épurée, de façon à atténuer sa violence et sa densité.

La mort de Sardanapale – Madeleine Dinès d’après Eugène Delacroix
L’altérité en question
Si la représentation de l’Orient est un moyen pour l’Occidental d’affirmer son identité, il s’agit d’accentuer les différences pour mieux se démarquer. Une salle est ainsi consacrée aux déguisements orientaux qui consacrent cette altérité.
Mais l’idée d’une commune humanité ne tarde pas à se manifester. En affublant un Européen d’un costume oriental, Léon Riesener laisse place au doute : le faste et les costumes ne masqueraient-ils pas une même appartenance ? Dès lors, chercher l’autre revient à se trouver. Hegel soutenait que l’être devait passer par ce qu’il n’était pas pour s’enrichir de cette différence et affirmer pleinement sa propre identité. Riesener semble l’avoir compris : le travestissement d’un Européen en Oriental aboutit à la pleine réalisation de son humanité. Voilà qui illustre bien la mission que s’est fixée l’exposition : montrer que l’art peut nous permettre de penser les enjeux contemporains d’identité et d’ouverture à l’autre.

Portrait d’un Européen en costume oriental – Léon Riesener
Les limites d’un point de vue trop moralisateur
Ces pistes de réflexion ont néanmoins tendance à se transformer en injonctions gênantes au fur et à mesure de l’exposition, et la visée morale prend dès lors le pas sur les enjeux artistiques.
Sur les panneaux d’explication, on peut ainsi lire qu’il est regrettable que l’Orient ne soit jamais considéré pour lui-même mais toujours d’un point de vue occidental, à travers un imaginaire stéréotypé. On aimerait y opposer qu’il ne s’agit pas d’un travail d’ethnologue, mais de poète. Que la beauté de chaque trait de pinceau se trouve dans le reflet d’une époque qui ne possédait ni les facilités de mobilité ni le recul ethnographique de la nôtre. Qu’un regard objectif est un regard scientifique, dont la méthode n’a rien à voir avec l’élégance picturale.
De même, on se passerait volontiers de la naïveté des propos de Lilian Thuram, qui accompagnent nombre de représentations, ainsi que du caractère moralisateur de ses injonctions et de la généralité de ses réflexions. Il paraît à cet égard très réducteur d’évaluer la consistance d’un regard pictural riche de plusieurs décennies de rêveries collectives à l’aune de préoccupations contemporaines d’égalité. Dans un autre registre, face à la place majeure que tiennent les pratiques religieuses dans la construction d’un imaginaire orientaliste, la question de savoir si « la pratique religieuse ne constitue pas un conditionnement » paraît bien dérisoire.
Infos pratiques :
Exposition à découvrir au Musée Eugène Delacroix, 6 rue de Fürstenberg, 75006 Paris
Métro 4 – arrêt Saint Germain des Prés / Métro 10 – arrêt Mabillon
Du 11 janvier 2018 au 2 avril 2018
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h30 à 17h30
Tarif : 7 euros, entrée libre pour les moins de 26 ans
Crédits photos :
Photo 1 : http://www.fnacspectacles.com/place-spectacle/musee/musee-8130438092369346481-lt.htm
Photo 2 : https://en.wikipedia.org/wiki/The_Death_of_Sardanapalus
Photo 3 : http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/madeleine-dines_la-mort-de-sardanapale_huile-sur-toile_1827
Photo 4 : https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/portrait-d-un-europeen-en-costume-oriental
Amélie Larchet